Adopté par l’habitat, un projet de loi proposé par les promoteurs devrait passer au Secrétariat général du gouvernement d’ici quelques jours. L’ancien texte, la loi 18-00, est incomplet et ne fonctionne pas sur le terrain. Les sociétés privées de syndic ont du mal à recouvrer les cotisations et accumulent de sérieux déficits.
«L’enfer, c’est les autres», disait Sartre. Et à en croire les multiples histoires qui circulent au sujet de la vie en copropriété, l’écrivain avait vraiment vu juste. La loi 18-00, adoptée en 2002, plutôt que de recadrer la vie dans les immeubles, aurait semé la pagaille sur le terrain. Les sociétés de syndic de copropriété ont beaucoup de difficultés à fonctionner, si bien que plusieurs d’entre elles sont devenues déficitaires. «La loi est truffée de lacunes et d’insuffisances, et l’application sur le terrain demeure embryonnaire», tranche le gestionnaire d’une société privée de syndic à Casablanca.
Le 30 janvier dernier, la Fédération nationale de la promotion immobilière (FNPI) avait à cet effet présenté au ministre de l’habitat, lors d’un séminaire, un nouveau projet de loi. «Nous n’avons pas simplement réaménagé la loi actuelle, nous en avons carrément créé une nouvelle», explique une source autorisée. A l’en croire, le ministre de l’habitat et de l’urbanisme, Toufiq Hejira, a très bien reçu cette proposition et son administration l’a déjà adoptée.
Il a d’ailleurs récemment promis aux promoteurs que le document parviendra au Secrétaire général du gouvernement dans les jours qui viennent.
En effet, un peu plus de six ans après sa promulgation, la loi 18-00 semble avoir fait plus de tort que de bien.
Premier dysfonctionnement : aucune distinction n’est faite entre les petites copropriétés (de plus ou moins vingt appartements) et les grands ensembles, où l’on retrouve des immeubles, mais aussi des villas, une piscine, un terrain de golf, etc. «C’était pourtant une nuance capitale à apporter.
Selon le cas, il ne s’agit pas de la même gestion, ni des mêmes préoccupations pour les copropriétaires», déplore un gestionnaire.
Que fait-on avec des propriétaires comme les MRE, absents toute l’année ?
Ensuite, aucune période de transition n’a été prévue entre le moment où le promoteur solde la vente de tous les appartements d’un immeuble et celui où le syndic est mis en place. «Trop souvent, le promoteur quitte le projet et s’en lave les mains», dénonce-t-on. Selon ce gestionnaire, il faudrait imposer au promoteur la gestion du syndic pour les deux premières années de vie de l’immeuble. Car, il est vrai que se constituer en syndic lorsqu’on vient de débarquer et qu’on ne connaît pas ses voisins n’est pas chose aisée.
«Et encore, c’est à condition d’être sur place. Mais que faites-vous des MRE qui achètent, qui ferment l’appartement et repartent à l’étranger? Des propriétaires qui louent à d’autres personnes?», interroge le patron, arguant que, dans de telles conditions, la collecte des fonds est tout simplement impossible. De plus, le promoteur bénéficie normalement d’une année de garantie auprès du maître d’ouvrage, suivant la réception du permis d’habiter. Les contrats avec les plombiers, électriciens et autres prestataires sont signés avec le promoteur.
«C’est donc au promoteur d’assurer le syndic au départ. Si la plomberie fait défaut dans l’immeuble, il dispose de tous les outils pour intervenir», avance ce patron de syndic.
Troisième problème, dans la loi 18-00 : le recouvrement. La seule issue pour une société de syndic, c’est-à-dire forcer les mauvais payeurs à régler leurs arriérés, est de les poursuivre en justice. «Or, on connaît le niveau de réactivité de notre système», tempête le gestionnaire.
Pendant ce temps, les factures d’eau et d’électricité s’accumulent, les salaires des aides ménagères et gardiens ne sont pas versés, etc. «Soit l’immeuble devient sale et plonge dans le noir, l’ascenseur est en panne et n’est jamais réparé, les assurances sont révoquées faute de paiement, soit c’est la société de syndic qui prend en charge ces frais, et c’est là que le déficit s’installe», explique-t-on. La solution serait donc de créer un circuit juridique rapide, pour que les syndics puissent récupérer les fonds sans mettre la main à la poche.
Et encore, des dispositions particulières devraient être prises pour les Marocains résidant à l’étranger, qui ne sont pas sur place en cas de problème. «On pourrait, par exemple, obliger ces propriétaires à effectuer des versements annuels», propose le patron.
Mais ce n’est pas tout. La répartition des charges entre copropriétaires ne fait l’objet d’aucune indication précise dans le texte de loi, ce qui crée des ambiguïtés énormes. Par exemple, les occupants du rez-de-chaussée doivent-ils contribuer aux frais liés à l’entretien de l’ascenseur? Les familles qui n’ont pas de voiture peuvent-elles refuser de payer pour tout ce qui touche le garage intérieur ? Dans les cas où les immeubles disposent aussi de petits commerces, la situation se corse encore.
«Le commerçant dispose parfois de son propre agent de sécurité. Pourquoi l’obliger à participer au salaire du gardien de la partie résidentielle ?», s’interroge le patron. Selon lui, les charges devraient être réglementées. Il faudrait à tout le moins désigner les frais qui doivent être répartis sur l’ensemble des copropriétaires, et ceux qui peuvent éventuellement faire l’objet d’une exemption.
Le problème, c’est qu’en l’absence de directives claires, ce sont les syndics qui jouent le rôle d’arbitre. «Et, encore une fois, ce sont eux qui se retrouvent à payer à la place de ceux qui refusent de le faire». Bien sûr, les syndics tiennent normalement des assemblées générales, où les copropriétaires peuvent justement venir débattre. «Mais je n’ai jamais vu de taux de participation de plus de 15% lors de ces assemblées. Les gens se plaignent, mais s’absentent lorsque vient le moment de défendre leur point de vue», témoigne le patron de syndic.
La loi 18-00 aborde certes le sujet, mais selon la superficie du logement. En fait, il est décrété que les charges doivent être réparties entre les copropriétaires, «en fonction de l’étendue de la partie divise». Ainsi, le célibataire installé dans un appartement de 250 m2 déboursera deux fois plus qu’une famille de quatre personnes qui vit dans un 100 m2. «C’est absurde! Comment voulez-vous que les syndics puissent convaincre les gens de payer dans de pareilles circonstances!», tempête le propriétaire d’une société spécialisée dans le domaine.
Les sociétés privées handicapées par les charges légales
Enfin, le dernier problème que les sociétés rencontrent est l’écart entre les charges imposées par les sociétés privées et les syndics d’autogestion. «Dans 95% des cas, les syndics autogérés sont en totale infraction par rapport à la loi», affirme-t-on. Les salaires versés aux gardiens et au personnel de nettoyage sont souvent, dans ces cas, inférieurs au Smig. Les employés ne sont pas déclarés à la CNSS, ne sont pas assurés, etc. «Quand on apprend à un copropriétaire qu’il devra verser plus de 300 DH par mois, c’est la panique.
Même si l’appartement vaut 2 millions de DH!», raconte le gestionnaire. De fait, les sociétés de syndic sont soumises à des obligations légales et fiscales, comme inscrire le personnel à la CNSS, souscrire des assurances, payer la TVA, etc.
Elles n’ont donc d’autre choix que de répercuter ces frais sur les résidents. «Si au moins il y avait des organes de contrôle pour les syndics en autogestion, l’écart avec le tarif des sociétés serait probablement moins élevé», indique-t-il. Bref, il faudra encore attendre avant qu’une nouvelle loi, ou à tout le moins un réaménagement de celle actuellement en vigueur, ne voit le jour. Pourtant, le temps presse, rappelle le patron, «car chaque jour, de beaux immeubles se mettent à ressembler un peu peu plus à des taudis» .
Marie-Hélène Giguère
Publié dans la vie éco, le : 20/06/2008
Lire la note sur la loi 18-00 sur la copropriété et le syndic